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Le comité des brins et barrière
     IL Y A TRENTE-CINQ ANS

Par Yves Condroyer

CLEMENCEAU, Foch, Crusader, Super Etendard, Alizé, Super Frelon, voilà l’aviation embarquée française en 1981.

En 1945, il y a trente-cinq ans, la Marine ne possédait ni porte-avions, ni aviation embarquée. Au début de la guerre, en 1939, le vieux porte-avions Béarn, n’étant plus adapté aux avions de l’époque, fut utilisé comme transport, et ses pilotes prirent part à la bataille de juin 1940 avec des chasseurs Dewoitine et des bombardiers Nieuport. Ils s’y distinguèrent au prix de lourdes pertes.

Dès la fin de la guerre, la Marine dut se doter le plus rapidement possible d’une aviation embarquée. Construire un porte-avions et des aéronefs adaptés aurait exigé des délais de conception, de réalisation et de mise au point trop importants. Il faut donc faire appel aux alliés.

Nous avions reçu des avions des chasse anglais Seafire, des bombardiers en piqué américain Dauntless SBD.

La Royal Navy nous céda le porte-avions Colossus, rebaptisé Arromanches.

Un groupe de huit lieutenants de vaisseau pilote fut envoyé en stage à l’école d’aviation embarquée de la « Fleet Air Arm » à Easthaven au nord de l’Ecosse.

En cette fin de l’année 1945 la « Fleet Air Arm » était plus occupée à désarmer ses flottilles et à démobiliser ses réservistes qu’à instruire de nouveaux éléments. Nous étions les seuls élèves. En Ecosse, au mois de décembre, il fait jour de 10 heures à 15 heures et nous passions le plus clair de notre temps au « carré » en compagnie de nos instructeurs qui attendaient la « classe » en éclusant des brocs de bière et en racontant leurs campagnes.

Logés dans des « barracks », nous étions choyés par des marinettes, les célèbres Wrens, qui préparaient nos lits, ciraient nos chaussures, nous apportaient le thé au réveil et organisaient nos week-ends…

Nous devions tous les huit être entraînés comme pilotes de porte-avions puis comme officiers d’appontage.

La qualification des chasseurs ne posa pas de difficultés majeures, ils avaient déjà leur Seafire bien en main.

Celle des bombardiers fut plus laborieuse ; nous n’avions jamais volé sur Firefly.

Après quinze heures de familiarisation nous commençâmes l’entraînement à l’entraînement à l’appontage simulé sur piste, les ASSP, tours de piste en vol lent à cent pieds d’altitude avec atterrissages contrôlés par notre instructeur, lequel nous guidait par des signaux avec ses « raquettes » jaunes.

A raison de huit tours le matin et huit l’après-midi, nous fûmes en moins de deux semaines déclarés « qualifiés sur piste ».

Le « Flying Commander » nous réunit alors pour le briefing avant appontage : description du porte-avions, brins, barrières, plate-forme de l’officier d’appontage, signaux de guidage pour les mouvements sur le pont, consignes pour le décollage, etc. « Nous pensions pouvoir vous emmener à bord, afin de vous montrer les installations, rencontrer le personnel, vous présenter l’officier d’appontage, mais le bâtiment est à la mer… Vous décollerez demain matin à 10 heures, vous prendrez contact par radio avec le porte-avions qui vous dirigera vers lui ; si tout va bien vous effectuerez chacun huit appontages et vous rentrerez à la base. Bonne chance et bonne soirée ! » La nuit ne fut pas des plus calmes. Aucun de nous n’avait assisté à un appontage. Nous n’avions vu des porte-avions qu’en photo et des appontages qu’au cinéma.

Notre quatuor décolle le lendemain comme prévu et rallie le bâtiment à environ vingt milles au large. Il s’agit du Battler, un liberty-ship transformé, le plus petit porte-avions de la Royal Navy…

Nous sortons la crosse et au signal « posez vous », le chef de section se présente le premier. Son SDB rate les bris et entre de plein fouet dans la barrière. Nous tournions en rond pendant que les équipes de pont remplacent la barrière et descendent au hangar l’avion endommagé. Après une demi-heure d’attente – et d’anxiété – c’est mon tour. J’accroche un brin mais mon avion n’est pas bien aligné. Le bout de l’aile gauche touche le paravent de l’officier d’appontage qui, heureusement, à plongé au dernier moment dans son filet de sécurité. Les manœuvriers de pont me remettent dans l’axe, un mécanicien examine le bout d’aile… « O.K. ! » Je décolle pour un deuxième appontage.

L’avion suivant est en approche mais sa présentation est jugée mauvaise et il remet les gaz ; le quatrième candidat est lui aussi refusé. Avant même que je me présente une deuxième fois, nous recevons l’ordre de rentrer à la base.
Un message du commandant du porte-avions nous y a précédés : « Some more practice for the French. » (Un peu plus d’entraînement sur piste pour les français.)

Après une semaine d’exercices supplémentaires, nous retournons à bord et nous nous en tirons tant bien que mal, à l’exception de l’un d’entre nous qui s’offre une barrière ; il reste seul à la base pendant les fêtes de noël pour profiter d’un nouveau « some more practice ».

Nous rentrons en France pour quelques jours de permission, dûment qualifiés « pilotes de porte-avions »… Nous n’avions vu à bord du Battler qu’un homme jaune qui nous faisait des signaux avec ses raquettes, des gens bleu et rouge qui poussaient notre avion pour l’orienter avant le décollage et un autre personnage jaune qui nous ordonnait de mettre les gaz et de lâcher les freins.

Début janvier, nous retournions à Easthaven, cette fois pour suivre le cours d’officier d’appontage. On désigne en général pour cette activité très spéciale des pilotes embarqués chevronnés, capables d’imposer leur volonté aux pilotes qu’ils doivent amener sur le pont. Ce n’était vraiment pas notre cas.

Le stage comportait le contrôle de Seafire, Firefly, Corsair et Avenger, à raison de quatre-vingts ASSP et vingt appontages pour chacun des quatre types d’avions.

Tout se passa dans la pus grande décontraction. Sur la piste d’aérodrome, nous avions derrière nous un moniteur chargé de rectifier nos signaux mais, de toue façon, les pilotes, tous des vétérans, rectifiaient d’eux mêmes nos erreurs.

Nous fûmes tous admis avec la mention « average » (moyen) et il fallut alors désigner un officier d’appontage pour l’Arromanches. Mon temps de commandement de flottille étant terminé, j’étais disponible et je fus désigné. On trouva opportunément un deuxième officier d’appontage, le LV Goldsmith, qui avait été formé au Etats-Unis et y avait acquis une bonne expérience. A nous deux nous eûmes la charge d’entraîner sur piste les quelque cinquante pilotes de l’Aviation embarquée française.

L’entraînement à bord débute par ma qualification comme pilote sur SBD. Goldsmith me contrôle ; au quatrième appontage ; je me pose trop à gauche, Goldsmith saute dans le filet de sécurité et se casse le bras. Je reste seul pour prendre en main les cinquante pilotes. Il y eu de nombreux incidents et accidents, heureusement tous matériels.

Les meilleurs ne furent pas les plus épargnés. Forts de leur expérience et de leur adresse, ils n’avaient qu’une confiance limité en les miennes. J’ai eu très peur au premier appontage de l’amiral Jozan.

Au cours de l’approche finale, s’estimant trop haut, il réduisit les gaz de lui- même et faillit bien heurter l’arrière du porte-avions. Il eut plus peur que moi et me promit, pour la suite, d’obéir à mes signaux.

Goldsmith, rétabli, reprit ses raquettes et l’Arromanches appareilla avec ses flottilles pour la croisière d’été 1947, au large des côtes d’Afrique, avec ses deux officiers d’appontage. Au large de Casablanca, étant sorti de ma plate-forme dans le feu de l’action, j’eu la cheville cassée par le brin étiré par un avion. Goldsmith dut terminer seul la campagne à l’issue de laquelle l’amiral Jozan, fier, à juste titre, d’avoir fait renaître l’aviation embarquée, proposa des récompenses. Il obtint pour moi un « proposition exceptionnelle d’avancement pour le grade de capitaine de corvette ». Ce beau document demeura en fait un simple parchemin, que j’ai pieusement collé dans mon carnet de vol, il me fallu attendre deux ans pour être promu, à mon rang, au grade supérieur.

J’avais sans doute coûté trop cher ! Mon activité comme officier d’appontage s’était soldée par une cheville et un bras cassés, une bonne demi-douzaine d’avions dans les barrières, un avion à l’eau sur l’arrière du bâtiment.

Les pilotes, victimes de ces accidents, ont dû sans doute me pardonner ; s’ils lisent ces lignes cela les rajeunira de trente-cinq ans…


  
Article rédigé par Yves Condroyer, datant de 1981...